"Dans l'instant de l'écriture, je trouve la complétude, j'abolis toute cassure dans une harmonie approchée du monde et du mot.
Tirer la phrase jusqu'à la chose, jusqu'au mot juste, jusqu'au rythme adéquat. Nommer les noces avec le premier objet d'amour perdu : brûlures et réductions des formes, arrêt de la phrase, piétinement du sens.
L'Art dit la nostalgie de l'Un. Du mélancolique il multiplie les chants : chants débordants de Céline, évidé de la poésie et de l'abstraction contemporaines, entre un trop-plein qui engloutit et la fascination des formes blanches.
Sur les frontières d'une assomption possible du sujet se tient l'Art, imposant la force du signe comme la mise en scène de son échec : cette note m'engloutit dans l'instant fusionnel de la contemplation, mais me dérobe tout sens assuré comme je m'identifie à celui qui semble avoir vaincu le défaut ou l'exil : dans le temps distendu de Marcel Proust, dans le Présent qui ne peut finir de Samuel Beckett, l'écriture est recherche infinie autour du sens.
La statue n'est-elle pas mouvement arrêté, pétrification, érection hasardeuse et nécessaire des modifications que j'inflige à la matière pour qu'elle puisse enfin se résoudre, cesser de m'imposer chaque jour sa littéralité.
Dans le glissement des styles, l'objet de deuil devient couleurs, sonorités, mots, rythmes. Alors je contemple le tableau, le poème qui me prend dans ses rais, me dérange, me console, lui seul qui sait relancer indéfiniment l'apparition possible de ce qui signerait mon apaisement et ma mort."
Esther Tellermann