Le portrait de Laure Bro - Théodore Géricault

http://www.mba-lyon.fr/static/mba/contenu/pdf/presse/dp-gericault.pdf?&view_zoom=1

Soleil noir

Géricault souffrit du célèbre « mal du siècle » dans le sens où l’on entend habituellement cette expression : une maladie de la volonté, une mélancolie introspective.
La perte précoce de sa mère aurait peut-être engendré un deuil impossible, si ce n’est un sentiment de culpabilité. Le caractère omnipotent de l’imago maternelle primitive pourrait peut-être expliquer l’absence, dans ses oeuvres, non pas des femmes (elles existent), mais de la Femme, que Géricault remplaça, de façon obsessionnelle, par l’image du Cheval.
L’extraordinaire portrait de Laure Bro, elle-même orpheline, constituerait donc l’exception qui confirme la règle. Mais, passé l’effet de surprise, on est obligé d’admettre qu’il émane de son visage une étrange et fascinante tristesse et que l’on sent comme une menace d’engloutissement peser sur elle.

Commissaire général de l'exposition : Bruno Chenique, historien de l'art, indépendant.

………… « jeune femme au regard mélancolique, vêtue d'une longue robe blanche ceinte d'un ruban bleu, assise à côté d'une grande capeline en paille. »








Portrait de Laure Bro, 1818-1820
Huile sur toile – 45 x 55 cm
New York, collection particulière

Exultais ?

"Exultate Jubilate", bien sûr, de le Mozart, icili : https://www.youtube.com/watch?v=YruVzW6zjdk

Merci Enid de cet instantané poème en prose regardant le tableau,
bonjour à chacun,
Francis

PS après coup : Et oui : j'entends des voix et des voies et d'autres les voient.

eh bien Francis bonjour ! je dirais que j'étais peut-être un peu moins expansive que cela ! mais oui, jubilation, de ce que j'avais vraiment décelé un autre regard aussi vrai que celui décrit par le commissaire de l'exposition dans son commentaire. Peut-être rencontre de regard de femmes ? Peinte par un jeune-homme, décrite par un homme, et voilà que la visiteuse...
Qu'a réellement fait Géricault ? le savait-il ? cela lui a-t-il "échappé" sur les bords ? le voyait-il sans le voir que le regard de biais par la droite du tableau, soit dans le sens contraire de l'allongement du corps... quel écho ? quel appel ?
tiens oui, je précise que du côté gauche du tableau, il ne se passait rien. Il fallait la largeur du visage, côté de l'inclinaison, l'inclination... côté de l'ombre légère aussi, puisque l'ouverture du rideau se trouve à l'opposé... capeline au voile négligé à gauche... et le passant, la passante, sur la droite... pour saisir l'autre éclat du regard.

cette expo remonte à 2006 à Lyon. Je suis restée en attente longtemps de relater cette petite expérience du comment le regard sur la peinture.

à bientôt,
Enid

J'aime les coïncidences, celle d'aujourd'hui est ton très beau texte Enid, avec"les suivantes" que je suis en train de lire depuis quelques jours, de Michel Foucault, dans "les mots et les choses".

Je t'en retranscris un passage:

"...peut-être y a-t-il dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique, et la défintion de l'espace qu'elle ouvre.
Elle entreprend en effet de s'y représenter en tous ses éléments, avec ses images, les regards auxquels elle s'offre, les visages qu'elle rend visibles, les gestes qui la font naître.
Mais là, dans cette dispersion qu'elle recueille et étale tout ensemble, un vide essentiel est impérieusement indiqué de toutes parts: la disparition nécessaire de ce qui la fonde,_ de celui à qui elle ressemble et de celui aux yeux de qui elle n'est que ressemblance. Ce sujet même - qui est le même - a été élidé.
Et libre enfin de ce rapport qui l'enchaînait, la représentation peut se donner comme pure représentation."

Le "même", la "ressemblance" évoquée est porté par le miroir dont il dit ceci:

"...Mais peut-être, cette générosité du miroir est-elle feinte; peut-être cache-t-il autant et plus qu'il ne manifeste.
...
Car la fonction de ce reflet est d'attirer à l'intérieur du tableau ce qui lui est intimement étranger; le regard qui l'a organisé et celui pour lequel il se déploie.
...
Dans la grande volute qui parcourait le périmètre de l'atelier, depuis le regard du peintre, sa palette et sa main en arrêt jusqu'aux tableaux achevés, la représentation naissait, s'accomplissait pour se défaire à nouveau dans la lumière; le cycle était parfait.
Sauf... une lacune: l'absence du roi.
...L'invisibité profonde de ce qu'on voit est solidaire de l'invisibilité de celui qui voit, ...
...
il n'est pas possible que le pur bonheur de l'image offre jamais en pleine lumière le maître qui représente et le souverain qu'on représente.

Autre lecture... intense
Oui, je trouve aussi, qu'il émane de cette scène autre chose que de la mélancolie

Bonjour Irisée, bonjour à tous,

"On n'y verrait rien, à regarder le regard ?" disiez-vous Irisée.

... tant ce qui serait à voir mais qui échappe toujours, vibre dans les rapports de ce qu'on voit au bord de sa disparition.

Regards de femmes, disais-tu Enid qui restituerait au féminin ce "voilé" confondu à la mélancolie.

L'ouverture, l'échappée du regard vers le paysage du fond (voilé, mais pas entièrement cependant) dont on ne sait pas si c'est d'une fenêtre ou d'une peinture suggérant un extérieur dans l' intériorité d'un regard,
Le ganté à demi
L'assise à demi allongée
La clarté et l'obcurité se partageant chacun la moitié du tableau
Le regard à moitié de face
Un seul pied au contact du sol...

Y aurait-il quelque chose du féminin de l'être à se tenir sur la frange du visible et de l'invisible ?

Bonjour

oui, je l'ai repris, Isabelle, cet "on n'y verrait rien à regarder le regard" – on n'y verrait rien à regarder fixement, d'où l'"absolue" nécessité d'une circulation du regard, dans cette représentation à laquelle celui qui a peint le tableau nous invite, comme plus tard d'autres regards "portés sur" peuvent relancer ce "voir" du "regarder", Foucault dans Les Mots et les choses, Arras, ...
Comme ici Enid convie à son tour le notre

Voilà, je souhaitais voir un visage ou un regard du peintre.

Et là, il y a un moment, j'ai cligné des yeux, pour regarder à nouveau ce Portrait de Laure Bro.
C'est très lumineux... , une onde de lumière, de la tête aux pieds !

Bon, je sors prendre l'air !

Beau dimanche à vous :-)